Bilan et perspectives de l’étude des libellules en cœur de Parc,
Les libellules de Guadeloupe, des insectes connus dont on ne sait pas grand-chose...
Depuis les travaux de François Meurgey et la parution de son livre, « Les libellules des Antilles françaises » les odonates de Guadeloupe sont désormais bien connus.
Il s’agit d’une faune très riche puisque ce ne sont pas moins de 38 espèces qui se répartissent sur l’ensemble de notre archipel. 9 espèces du groupe des zygoptères (libellules du type « demoiselles » avec les ailes au repos refermées comme un livre) et 29 espèces du groupe des anisoptères (libellules qui gardent au repos leurs ailes étalées).
Si l’ordre des Odonates en Guadeloupe est donc maintenant bien connu du point de vue de la systématique, il n’en va pas de même en ce qui concerne la biologie, l’écologie et la phénologie des espèces, domaines pour lesquels des suivis sur des pas de temps assez longs sont indispensables. C’est la raison qui a motivé François Meurgey, membre du Conseil Scientifique du Parc, à créer un protocole sur une année. Ce protocole visait à tester la possibilité d’obtenir des données utiles à la compréhension du fonctionnement de quatre espèces dans les ravines et rivières forestières de la Basse-Terre.
Méthodes de suivi
Le suivi a été mené simultanément sur deux sites de Petit Bourg : la Rivière Corossol à partir de l’aire de pique-nique, et la Rivière Quiock à partir de la trace du même nom (voir carte).
Sur le même tronçon, quatre personnes ont effectué chaque mois un aller-retour dans la rivière et sur ses berges durant une heure et demie environ.
Le passage aller est pratiqué à vitesse lente avec sur chaque berge, une personne qui bat la végétation et deux personnes dans la rivière qui scrutent les insectes en vol ou posés sur les roches. Le passage retour se fait à contre courant et à vitesse très lente avec les quatre observateurs dans l’eau pour récolter les exuvies (mues) des larves qui viennent accomplir leur métamorphose sur les pierres et les rochers émergés ou, plus rarement, sur les berges.
A chaque sortie, tous les adultes observés sont comptabilisés sur des fiches et toutes les exuvies sont collectées dans des pots pour être identifiées et comptabilisées.
Les relevés ont été effectués sur ces deux stations de mars 2014 à février 2015. En mars et avril 2015, 4 stations supplémentaires ont été prospectées une fois sur la rivière Quiock à titre indicatif, stations Quiock 1 à 4 sur la carte.
8 agents du parc ont participé à ces observations au rythme de 4 agents par sortie et d’une sortie par mois.
- Pôle Cœur Forestier : Céline Lémonon, Nadia Liagre, Rodrigue Orlock.
- Service Système d'Information : Alain Ferchal.
- Service Patrimoine : Maïtena Jean, Marie Robert, Léa Sébési, Guy Van Laere
Deux espèces bien représentées et deux qui se font plus rares.
D’une manière générale, le protocole visant à obtenir des données phénologiques utiles au suivi des espèces ne s’est pas révélé pleinement satisfaisant. La grande variabilité des précipitations et des crues en fonction des mois, impliquerait de poursuivre le suivi sur plusieurs années pour pouvoir dégager des tendances réellement significatives, ce qui n’est pas envisageable compte tenu des moyens humains que cela nécessiterait.
Cependant ce protocole a permis de définir deux groupes fonctionnels et de mettre en évidence des traits biologiques qui ont un intérêt majeur dans la politique de conservation de ces espèces.
Deux groupes se dégagent ; d’une part Brechmorhoga archboldi et Argia concinna qui sont deux espèces dont les larves vivent dans les milieux au régime torrentiel et qui montrent une stabilité dans le choix des sites pour les imagos (adultes) et pour les larves. Les exuvies sont récoltées dans les mêmes sites que ceux où les imagos sont observés, même s’il existe une dérive larvaire vers l’aval des sites de ponte, commune aux espèces inféodées à ce type de milieu.
Ces deux espèces peuvent donc faire l’objet d’un suivi régulier dans les stations où elles sont présentes, par comptage des individus imagos et collecte des exuvies.
Le second groupe concerne Macrothemis meurgeyi et Protoneura romanae. Pour ces deux espèces, aucune exuvie n’a été collectée durant l’étude, dans des sites où des populations larvaires ont bien été observées en 2007 et 2012. Le choix des milieux de ponte pour ces deux espèces consiste en des zones calmes des rivières torrentielles. M. meurgeyi pond dans les zones calmes dont les rochers sont colonisés par des algues, P. romanae dans des petites collections d’eau à chevelu racinaire.
Ces milieux ne sont pas stables dans les rivières ; leur présence varie au gré du débit d’eau généré en amont par les précipitations. Ceci signifie que ces espèces se sont adaptées à des modifications naturelles des milieux courants, ce qui peut sans doute signifier une origine assez ancienne pour ces deux taxa. D’ailleurs sur la rivière Quiock, une activité importante de P. romanae a pu être observée en mars 2015 sur le site Quiock 2, tout proche de la station régulièrement suivie, alors que cette espèce n’a jamais été contactée au cours des 12 mois de suivi. Le site Quiock 2 se caractérise par la présence d’un embâcle important correspondant à l’effondrement d’ un ancien pont qui a créé une zone de calme.
Il ressort de cette étude que ces deux espèces ont besoin de milieux variés, nombreux et étendus et sont tributaires de la conservation de micro-milieux stagnants dans les rivières. Cet état de conservation est assuré dans les cœurs de Parc nationaux, mais il n’en va pas de même dans la zone d’adhésion où le débit, la nature des berges et du lit majeur peuvent être modifiés. Cet aspect est à prendre en compte dans les éventuels projets d’aménagement ou au contraire de renaturation ou restauration des cours d’eau.
Des milieux à sauvegarder pour la protection des espèces discrètes
Ce protocole nous aura permis de tester la possibilité de travailler sur la phénologie des espèces en milieu courant, et de montrer que pour deux espèces, Protoneura romanae et Macrothemis meurgeyi un tel suivi ne peut être conduit qu’en prenant en considération l’échelle du bassin versant. Ces deux espèces sont relativement peu courantes et il est à craindre, dans le cas de modifications trop importantes en aval des limites des cœurs de parc, une remontée des populations vers les zones protégées de la Guadeloupe.
Ces deux espèces sont endémiques strictes de Guadeloupe et de trop grandes modifications aux milieux qui les hébergent peuvent avoir un impact non négligeable sur leurs populations. Un suivi spécifique pour ces deux espèces pourrait être envisagé aux titre des espèces patrimoniales.
Pour les deux autres espèces, la relative stabilité des milieux de reproduction assurent une viabilité des populations plus grande, illustrée d’ailleurs par les abondances et fréquences relatives élevées pour ces deux taxa, dans les sites de reproduction.
Le Parc National remercie Pierre et Claudine Guezennec pour le prêt de leurs photos. Retrouvez sur leur site des photographies des nombreuses autres espèces de libellules qu’abrite notre île.
Vous trouverez ici un lien vers le site de la Société d’Histoire Naturelle de Herminier présidée par François Meurgey.