Quel est le point commun entre le moustique, le typha, le rat noir, la jacinthe d’eau et la mangouste ? Ce sont tous des espèces exotiques envahissantes (EEE) ou Invasive Alien Species en anglais: une espèce introduite par l’homme volontairement ou involontairement sur un territoire hors de son aire de répartition naturelle et qui menace les écosystèmes, les habitats naturels ou les espèces locales, voire notre santé et les activités économiques.
Un récent rapport de chercheurs de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, vient de mettre en lumière la grave menace que font peser les espèces exotiques envahissantes (EEE) sur la biodiversité. Ces espèces invasives sont en effet impliquées dans 60% des extinctions de plantes et d’animaux au niveau mondial. Et la Guadeloupe est particulièrement vulnérable aux effets néfastes de ces EEE, contre lesquelles le Parc national de la Guadeloupe agit.
Une espèce exotique envahissante est une espèce introduite par l’homme volontairement ou involontairement sur un territoire hors de son aire de répartition naturelle et qui menace les écosystèmes, les habitats naturels ou les espèces locales. Elles menacent également notre santé et les activités économiques. Certaines sont en effet porteuses de maladies comme le moustique tigre, vecteur des virus de la dengue et du chikungunya, ou allergisantes, comme l’ambroisie. L’agriculture peut aussi être touchée à cause de ravageurs, d’animaux ou d’insectes comme des coléoptères ou des pucerons qui attaquent les plantes cultivées et les récoltes stockées.
La Guadeloupe vulnérable
Les îles d’outre-mer sont particulièrement touchées puisqu'elles concentrent 74% des espèces exotiques envahissantes en France. Le contexte insulaire de la Guadeloupe rend le territoire particulièrement vulnérable aux effets néfastes des EEE. En effet, l'insularité confère à l'archipel un grand nombre d'espèces endémiques, celles-ci ainsi que les autres espèces locales se retrouvent donc face à un nouvel élément perturbateur quand une EEE est introduite. Tout à coup, leur tranquillité est menacée: compétition pour les ressources, nouveau prédateur, bataille pour l'occupation de l'espace ou encore introduction de nouvelles maladies.
En ce moment, le Parc national de la Guadeloupe porte avec la commune de Sainte-Rose un projet de restauration écologique sur le site de Pointe Allègre. La lutte contre les EEE aquatiques est au cœur du projet Nogent avec l'éradication de laitue d’eau, de jacinthe d'eau ou de salvinie.
La laitue d’eau, aussi appelée salade d’eau, est une plante aquatique vivace, flottante et qui peut rapidement devenir envahissante car elle a tendance à s’étaler avec ses stolons jusqu’à réduire les échanges gazeux, limiter l’oxygène dans l’eau et détruire les écosystèmes, comme le fait d’ailleurs la jacinthe d’eau.
Le combat contre ces espèces passe par une technique relativement simple, comme l’explique Marie Robert, chargée de mission Milieux aquatiques au Parc national de la Guadeloupe. "Nous procédons à l’arrachage complet des plants. Il faut ensuite s’assurer qu’un tiers ne vienne pas réintroduire ces végétaux. S’agissant de ces espèces, la laitue d’eau et la jacinthe d’au, c’est pour l’heure une réussite", explique-t-elle.
Le fléau typha
D’autres espèces posent plus de problème comme le typha. Présente sur le site de Nogent, cette plante est particulièrement dangereuse: ses graines très volatiles rendent cette espèce très efficace pour gagner du terrain rapidement sur la mare, qui en est presque totalement recouverte.
Les milieux prairiaux humides et les plans d'eaux de la Guadeloupe en sont envahis depuis près d'une vingtaine d'années. Le Typha domingensis, aussi appelé massette, a une origine incertaine (ornementale, a but de filtration des eaux...) mais son impact négatif sur l’environnement est une certitude.
"Cette plante, très adaptée aux milieux aqueux à faible salinité de disperse par le vent, a pris d'assaut toutes les masses d'eaux stagnantes et autres zones humides de l'archipel. Très adaptable au milieu, elle tolère des hausses ponctuelles de salinité, des sécheresses et les traitements de régulation classique. Le feu ou la taille des plants n'ont qu'une efficacité très éphémère sur elle. Occupant rapidement tout le milieu et surplombant les espèces aquatiques locales par ces trois mètres (maximum) de haut, elle capte toute la lumière et étouffe les autres végétaux locaux des plans d'eau", précise Barthélémy Dessanges, chargé de mission Milieux terrestres au Parc national de la Guadeloupe.
Dans le cadre de la réhabilitation de la forêt marécageuse de Golconde aux Abymes, le Parc agit aussi contre ces espèces exotiques envahissantes, comme le typha.
Sur ce site, proche du canal Perrin, c'est la prairie humide qui perd du terrain chaque année face à la massette. Elle fait aussi barrage aux graines de mangle médaille (Pterocarpus officinalis) ou "sandragon" de la forêt marécageuse et empêche sa très lente expansion naturelle.
2% de flore endémique de Guadeloupe
On constate que, grâce au chantier expérimental de l'Université des Antilles en lien avec le PNG, la meilleure solution pour lutter contre cette espèce exotique envahissante est de la concurrencer sur l'accès à la lumière. "En effet, le typha tolère très mal d’être privé de soleil et lui faire de l'ombre l'empêche de se développer et de se maintenir dans les milieux. Ainsi, des pépinières in situ de mangle médaille sont créées par le Parc national pour transplanter des arbrisseaux de 1 à 2,5m de haut parmi les sites envahis ou susceptibles d'être occupés par la plante exogène. De cette façon, nous aidons à restaurer le milieu initial des sites de prairies humides qui étaient forestiers, tout en endiguant durablement la progression du typha", poursuit Barthélémy Dessanges.
Sur le site de Providence, ancienne pépinière en cœur de Parc dans le secteur de la Traversée, le PNG tente aussi de restaurer la forêt initiale. "Nous luttons ainsi contre le bambou, la rose de porcelaine, le flamboyant, l’allamanda ou l’oiseau du paradis qui n’ont pas leur place en cœur de Parc national. Nous œuvrons à la recolonisation des espèces du milieu en plantant certaines espèces pionnières, comme le bois-canon pour aider la forêt à reprendre ses droits", souligne Evens Delannay, technicien de développement local anciennement chargé de mission Renaturation / Restauration écologique au Parc national de la Guadeloupe.
La flore vasculaire indigène de Guadeloupe compte environ 1.600 espèces dont 32 (soit 2%) sont endémiques.
Seul un sixième d’espèces animales endémiques
Quant à la faune, un état des lieux portant sur 574 espèces menés dans le cadre de la Liste rouge nationale montre que seulement 69 sont endémiques. Soit environ un sixième.
La plus connue des espèces nuisibles pour la biodiversité locale est le tristement célèbre rat noir (rattus rattus) qui sévit sur nos îles depuis près de 500 ans. Cette espèce est en effet un hôte commun des navires depuis fort longtemps, se nourrissant de tout ce qui passe à portée de ses sens affûtés durant la nuit. "La capacité de reproduction de ce rongeur est très importante : une femelle peut engendrer plus de 28 petits chaque année. Ce chiffre en dit long sur l’impact que peut avoir cet animal sur son habitat et les espèces qui l’entourent", indique Maïtena Jean, chef du service Patrimoines naturel, culturel et paysager au Parc national de la Guadeloupe.
Raison pour laquelle le PNG œuvre à l’éradication de ces espèces envahissantes comme le rat noir donc ou la mangouste indienne, afin de préserver l’état des îlets et le patrimoine naturel unique qui les compose.
Plusieurs tentatives d’éradication
La première tentative d’éradication sur l’îlet Fajou en 2001 avait permis d’éliminer 742 rats de l’espèce rattus rattus (mais aussi 76 mangoustes et 182 rats surmulots). Les premières autopsies ont également été réalisées durant cette mission pour mieux appréhender comment la population se maintient sur l’îlet. La seconde partie de l’éradication à Fajou en 2002 avait montré l’efficacité du premier passage en ne dénombrant que 264 rats noirs capturés, sans pour autant pouvoir confirmer une éradication totale de l’espèce sur l’îlet.
L’îlet Kahouanne est aussi soumis à la prédation des mangoustes et des rats noirs. Il abrite en plus des espèces à fort enjeu patrimonial comme les tortues imbriquées dont les sites de ponte sont menacés par le rat noir. On y retrouve également des anolis (marmoratus kahouannensis), une espèce endémique ainsi que l’orchidée brassavola cucullata, présente en nombre exceptionnel sur l’îlet, mais également attaqués par les rats. Plusieurs régulations des populations de rats ont eu lieu sur l’îlet. 89 rats ont été prélevés en 2013. Puis 46 en 2020. Les données montraient une population importante, soutenant l’intérêt de continuer ce type de mission, comme aux îlets Pigeon.
Seuls deux îlets du cœur marin de Parc national semblent pour l’heure épargnés par la présence d’EEE, l’îlet Blanc et la Tête à l’Anglais.
Boris Courret