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Magma : l’ode tranquille de Cyprien Vial à la Soufrière

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Pour son troisième long-métrage, Cyprien Vial rend hommage à la Soufrière et revient à sa manière sur les évènements de 1976 dans une Guadeloupe contemporaine qui n’a en réalité pas tant changé que ça. Découvrez notre avis. 
Marina Foïs dans Magma
Marina Foïs dans Magma ©Pyramide Distribution

 

Soufrière, 2024. Deux corps se détachent doucement de la brume. Celui de Katia, directrice de l’Observatoire volcanologique et sismologique de la Guadeloupe, interprétée par une émouvante Marina Foïs, suivie de près, dans l’ombre, par Aimé, jeune thésard à l’OVSG à qui elle transmet sa passion.

Il est du coin, a grandi avec le souvenir que lui racontait ses parents de l’éruption de 1976. Alors, quand la Soufrière, près de 50 ans plus tard, se remet à faire des siennes, il sait ce que cela signifie.

À l’époque, des dizaines de milliers de personnes avaient quitté le sud de la Basse-Terre pour rejoindre le nord ou la Grande-Terre. À l’époque, deux éminents scientifiques s’étaient querellés sur l’opportunité d’une évacuation. D’un côté, Haroun Tazieff, le charismatique volcanologue de terrain qui ne croyait pas au risque d’une éruption magmatique. De l’autre, Claude Allègre, le chercheur couvert des plus hautes distinctions et directeur de l’Institut de Physique du Globe, qui privilégiait le principe de précaution. C’est l’avis du second qui avait été suivi par les autorités. Le préfet, le 15 août 1976, décidait de l’évacuation totale de la zone à risque, allant de Capesterre-Belle-Eau à Vieux-Habitants, soit 73.600 personnes. Une décision qui bouleversa durablement la société guadeloupéenne. Au final, aucune explosion cataclysmique de la Soufrière n’eût lieu. 

Marina, Théo Magma
Théo Christine et Marina Foïs dans Magma ©Pyramide Distribution

 

Histoire ancrée 

C’est cette histoire, bien réelle et encore profondément ancrée dans la mémoire des Guadeloupéens, qui sert de trame à la fiction du réalisateur Cyprien Vial. "Je me suis clairement inspiré de ces évènements avec bien sûr d’autres personnages pour porter les différentes positions", explique-t-il.

Parmi eux, Katia donc, une directrice de l’OVSG sur le départ et persuadée qu’il n’y a guère de risque. Aimé, campé par un touchant Théo Christine, plus mesuré mais respectueux des prérogatives d’une cheffe qu’il respecte beaucoup. Trop peut-être. Ou un préfet de Guadeloupe joué par un implacable Mathieu Demy qui décide rapidement, par précaution et contre l’avis de l’OVSG, l’évacuation totale de la zone concernée. Les habitants de la Basse-Terre se retrouvent d’un coup à plusieurs dizaines de kilomètres de chez eux, entassés les uns sur les autres dans les centres d’hébergement pendant plusieurs mois, sans qu’il ne se passe rien au sommet de la Soufrière. La tension monte. La situation devient peu à peu intenable. 

Magma de Cyprien Vial : la bande-annonce


Toutes les époques

Dans cette atmosphère de chaos, le réalisateur filme les prémisses du soulèvement de la population avec justesse. Certaines séquences nous rappellent étrangement des scènes réellement vécues dans un passé récent par la population antillaise lors de luttes sociales. Cyprien Vial n’oublie pas non plus d’évoquer, par d’habiles allusions, quelques problèmes structurels qui touchent la Guadeloupe, comme celui de l’eau, qui fait encore tristement l’actualité en ce moment.

Marina Foïs, Magma
Marina Foïs sur le tournage du film Magma ©Pyramide Distribution

 

Les plans d’un chef lieu désert nous font quant à eux penser au court-métrage du cinéaste allemand Werner Herzog en 1976, qui avait filmé les rues fantomatiques d’un Basse-Terre évacué. On est pris, avec les protagonistes, dans ce tourbillon de difficultés insolvables, en en oubliant presque dans quelle époque on se trouve. 1967 ? 1976 ? 2009 ? 2024 ? La photographie légèrement délavée privilégiée par le réalisateur et son chef opérateur Jacques Girault renforce ce flou. Nous sommes dans toutes les époques à la fois, dans une île aux abois, qui tourne en rond, inlassablement.

Cyprien Vial choisit toutefois de prendre son temps dans un film où son vrai personnage principal est la Soufrière. Cette grande dame qu’il filme sous tous ses atours dans de longs plans fixes, comme pour mieux la mettre en valeur. La respecter. Restera-t-elle assoupie ? Se réveillera-t-elle pour détruire une partie de l’île ? Des questions qui nous rappellent avant tout que vivre au pied d’un volcan actif n’est jamais anodin. 

Boris Courret 
 


Les infos en plus 

Les scènes tournées à la Soufrière ont été autorisées par le Parc national de la Guadeloupe.

Patrice Segrétier, technicien Sport et Nature au Parc national, a accompagné le tournage pendant 6 jours pour assurer la sécurité des équipes du film et le respect de la biodiversité qui règne sur ce site emblématique de la Soufrière, situé en cœur de Parc national de la Guadeloupe.

Magma est dans les salles en Guadeloupe depuis le 21 février. Une sortie nationale est prévue pour le 19 mars.

Notre documentaire "La Soufrière d’hier et d’aujourd’hui", qui revient sur les similitudes scientifiques et la gestion du risque entre les évènements de 1976 et la période actuelle, sera très bientôt en ligne. 

Affiche documentaire Soufrière
L'affiche du documentaire "La Soufrière, d'hier et d'aujourd'hui" de Boris Courret