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Le protocole BRUVs : comment étudier les populations de raies et requins dans le Grand Cul-de-sac marin ?

Scientifique
Le Parc national participe à l'amélioration des connaissances sur les elasmobranches (les raies et les requins) dans ses zones de protection du Grand Cul-de-sac marin. Il a mis à disposition de l'association Kap Natirel et de la Florida International University, des moyens nautiques ainsi que 3 agents par journée pour participer à  une nouvelle campagne de suivi par les caméras appâtées ou protocole BRUVs (pour Baited Remote Underwater Video system). Réalisée dans le cadre du projet mondial "Global FinPrint", cette campagne est également s'intègre dans un vaste projet mené par Kap Natirel à l’échelle des Antilles françaises: Pou Pwoteksyon Rékin Karib  2 (2PRK2).
A l'occasion de la journée mondiale de la mer, nous vous proposons un gros plan sur le protocole BRUVs !

À l’échelle mondiale, la majorité des espèces de raies et de requins sont en danger d'extinction. Ils sont vulnérables pour plusieurs raisons: la plupart de ces animaux ont une croissance lente. Ils atteignent leur maturité sexuelle tardivement, parfois après 7 ans, et ont de petites portées. De plus, la période de gestation peut durer jusqu'à 2 ans pour certaines espèces.

Ces caractéristiques les rendent déjà fragiles. Ajoutez à cela des menaces comme la pêche excessive, les captures accidentelles et les engins de pêche "fantômes" (engin de pêche perdu en mer), et il vous est facile de comprendre pourquoi ces espèces sont en danger.

Protocole BRUVs - Kap Natirel

 

Un constat particulièrement inquiétant dans la Caraïbe
 

Dans la Caraïbe, le constat est particulièrement inquiétant avec des populations considérées comme très faibles sur certains territoires notamment en Guadeloupe et en Martinique.
 
De par leur grande disparité de taille, de forme, de régime alimentaire et de comportement, les requins et les raies forment un des groupes de prédateurs les plus diversifiés. Ils jouent des rôles fonctionnels importants, notamment dans le contrôle des herbivores, des espèces exotiques envahissantes, des carcasses des animaux morts et en limitant la prolifération  des maladies, en se nourrissant des proies affaiblies.

Le constat actuel, avec une diminution inquiétante des populations de requins et de raies, soulève un besoin important de mieux les connaître pour mieux les protéger.

L’association Kap Natirel, en charge de la coordination du Réseau requins des Antilles françaises (Reguar), développe des projets pour améliorer les connaissances des requins et raies. L’une des méthodes utilisées est celle des "BRUVs" ou caméras appâtées. Cette méthode est utilisée depuis de nombreuses années à travers le monde pour améliorer les connaissances sur certaines espèces, dont les requins et les raies. En12016, cette méthode a été utilisée pour la première fois dans les Antilles françaises dans le cadre du projet mondial "Global Fin Print". Depuis, cette méthode de suivi est utilisée régulièrement sur les différentes îles des Antilles françaises.

Protocole Bruvs caméra
Kap Natirel

 

La méthode BRUvs, comment ça marche ?
 

Son objectif est d’identifier les espèces de requins et de raies présentes dans les eaux du Grand Cul-de-Sac marin au moment de la campagne et étudier l’évolution des populations entre 2016 et 2024. C’est une méthode de suivi "non-invasive" (qui ne nécessite presque aucun dérangement des espèces) de la biodiversité marine sur des fonds allant de 3 à 30 mètres de profondeur en général. Elle est régulièrement utilisée pour l'étude des populations de raies et requins, mais peut aussi être utilisée pour l'étude des populations de poissons.

Le dispositif se compose d'une caméra dirigée vers une source d’appât maintenue dans un socle en acier afin d'éviter que la faune ne se nourrisse dessus (méthode basé sur le smelling : la diffusion d'odeur par les courants) (cf photo). Les BRUVs sont déposés sur le fond marin en le faisant glisser à l'aide d'une corde. Une vérification est faite depuis la surface par une personne en "snorkeling" (nage en palme, masque, tuba) afin de limiter les dégâts pouvant être occasionnés par les structures sur les récifs. Elles sont laissés sur site pour une durée de 60 à 90 minutes.

La présence d'apnéistes permet de positionner les structures de la manière la plus optimale: la caméra doit être dirigée à contre-courant pour filmer l’animal qui remonte la source d’odeur émise par les appâts. La source d'appât doit être composée de poisson gras tel que la sardine pour être efficace. Le principe est d'attirer les espèces carnivores de la zone dans le champ de vision de la caméra. Lors du visionnage des images, les espèces ciblées sont identifiées et comptées dans le champ de vision de la caméra.

Protocole Bruvs appât - Kap Natirel


Pour quels résultats ?
 

Cette technique permet d'obtenir des informations directes sur le milieu et les espèces observés devant la caméra telles que :

    • La diversité des espèces, la fréquence des observations pour chaque espèce, la présence / absence des espèces étudiées ainsi que le nombre maximal d’individu observé sur un même enregistrement pour chaque espèce,
    • Une estimation du stade du cycle de vie : nouveau-né, juvénile / sub-adulte, sub-adulte / adulte et femelle gestante
    • La caractérisation du milieu : zone récifale, zone à herbier / sableuse

Une fois ces premières informations récoltées, des indices sont produits permettant de comparer avec d’autres secteurs ou sur différentes années et ainsi de suivre l’évolution des populations.. On parle d'indice d'abondance, afin de savoir si cette espèce est présente en grande quantité ou non. Autrement dit, si elle est en danger d'extinction dans nos écosystèmes.
 Il est important de rappeler que plus une espèce est présente dans le milieu et plus on a de chance de l'observer sur les enregistrements. Si une espèce n'est pas observée lors des campagnes de suivis, cela ne veut pas dire qu'elle est absente de la zone, mais juste que le nombre d’individus est trop faible et que les chances d’en voir passer un devant la caméra sont restreintes

Sur les 140 enregistrements réalisés entre 2016 et 2021, des raies ont été observées sur moins de 10% des enregistrements et des requins sur moins de 4% des enregistrements. Par comparaison, sur l’île de Saint-Barthélemy, les raies sont observées sur plus de 43% des enregistrements et les requins sur plus de 67% des enregistrements. Un résultat alarmant traduisant un état critique des populations de raies et requins autour de la Guadeloupe.

Camille Peltier