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"La tête dans les lichens" 3 questions à Elise Lebreton

Conférences et Rencontres

3 questions à Elise Lebreton, lauréate de l’appel à projets scientifiques du Parc national de la Guadeloupe en 2021 pour son projet intitulé « L’écosystème feuille ». Cette étude comprend notamment un inventaire des lichens de l’Archipel et une étude sur les microalgues présentes à la surface des feuilles des arbres. Présents absolument partout en Guadeloupe, les lichens forment une composante vitale des écosystèmes terrestres. Pourtant, moins de la moitié des espèces présentes en Guadeloupe sont connues ! Elise nous en dit plus !

1. Qui êtes-vous Elise Lebreton ?
Je suis née à Saintes en Charente-maritime, en mars 1995, date qui coïncide avec la première expédition dédiée aux Gomphillaceae de Guadeloupe, effectuée par mon actuel co-directeur de thèse, le lichénologue Emmanuël Sérusiaux (aujourd'hui professeur émérite à l'Universite de Liège). Coïncidence amusante : Le jour même de ma naissance, il était en train de collecter des Gomphillaceae (et autres lichens) au sommet de la Soufrière !
J’étais en licence à l'Université de La Rochelle quand un copain m'a lancé ce défi : "Toi qui aime la botanique, tu devrais voir la forêt tropicale, c'est exceptionnel !" A 20 ans, je n'avais jamais pris l'avion de ma vie. Pourtant, j’ai saisi l’opportunité de suivre le master ECOTROP de l'Université des Antilles.
       
2. D’où vient votre passion pour les lichens de Guadeloupe ?
C’est en Guadeloupe que ma passion des lichens s'est complètement révélée à la grande surprise de mes proches !
Bien que déjà intéressée par ceux observés à La Rochelle durant ma licence, j'ignorais que ce hobby prendrait une place aussi importante dans ma vie. Ma passion est née d'un paradoxe : présents absolument partout en Guadeloupe, les lichens forment une composante vitale des écosystèmes terrestres. Pourtant, nous sommes incapables de les reconnaitre et de les nommer ! Moins de la moitié des espèces présentes en Guadeloupe sont connues : environ 600 espèces ont été mentionnées alors que leur nombre est estimé à plus de 1300 !

J'ai eu la chance d’avoir le soutien de l’équipe pédagogique de l'Université des Antilles ! Elle a pris au sérieux mon souhait d'étudier ces organismes, malgré l’absence de spécialiste sur place pour me former. Passionnée, je me suis investie sans compter pour trouver des personnes ressources à distance et m'autoformer. Cela m'a demandé énormément de travail. Valider ce master était une prise de risque et je remercie mes professeurs qui m'ont fait confiance et m'ont encouragée dans cette démarche.

3. Quelles retombées la Guadeloupe peut-elle en attendre ?
Notre travail consiste pour le moment à décrire les espèces présentes en Guadeloupe et mieux comprendre leur répartition géographique sur le territoire.
La fonge de la Guadeloupe est bien plus riche qu'on ne le pensait ! Elle pourrait devenir une référence dans la Caraïbe, à l’instar de Puerto-Rico où la lichenofonge a été bien étudiée notamment par Joel Mercado-Diaz et son équipe. Ces nombreuses découvertes portent un coup de projecteur sur ce territoire.

En Europe, les lichens sont utilisés depuis plus d’un siècle comme bio-indicateurs de la pollution automobile et industrielle en milieu urbain (source : « Lichens des environs de Paris », Nylander, 1896). Depuis 2017, le programme de science participative "Lichens Go!" accessible au tout public vise à évaluer la qualité de l'air en milieu urbain sur la base d'une liste de lichens faciles à reconnaître. Cette liste pourrait être adaptée en trouvant des espèces guadeloupéennes.
Depuis quelques années, on constate que ces organismes très sensibles sont parmi les premiers à répondre en cas de changement environnemental. Tout au long de leur vie, les lichens vont accumuler comme des éponges, les éléments présents dans l'eau de pluie et l'air ambiant. Un peu comme les coraux, lorsque les conditions se dégradent, les lichens vont blanchir car l'algue avec laquelle ils sont associés va dépérir. Cette sensibilité permettrait de suivre l'activité volcanique de la Soufrière par exemple.
Enfin, une application prometteuse concerne la pharmacopée. Les lichens produisent une large gamme de molécules chimiques dont certaines n'ont jamais été trouvées ailleurs. Le lichen est le seul organisme à produire certaines molécules et cela dans tout le monde vivant. Les lichens sont depuis des siècles utilisés pour teindre les vêtements (obtention de colorants rouges, verts, oranges...). Cette chimie lichénique est d'ailleurs un critère utilisé pour identifier les espèces.

Le Dr. Joël Boustie (Université de Rennes) et son équipe ont déjà trouvé des milliers de molécules dont certaines sont prometteuses en tant qu'antibactérien ou dans la lutte contre le cancer par exemple. Ils ont aussi identifié de possibles applications dans les crèmes solaires.

Je considère la connaissance des lichens en Guadeloupe comme la construction d'une maison, où les chercheurs ajoutent leur "pierre à l'édifice" à chaque étude menée. Avec la compréhension des espèces (connaitre), nous pourrons ensuite explorer les applications possibles pour nous les humains.

Mini feuille, Vieux-Habitants @E. Lebreton
Cette feuille pourtant plus petite qu’une main, accueille une dizaine d’espèces de lichens foliicoles © E. Lebreton
Lichens de la forêt marécageuse de Morne Rouge @E. Lebreton
Les forêts marécageuses accueillent une lichénofonge tout à fait différente de celle retrouvée en cœur de parc, ici des lichens foliicoles sur Heteropterys platyptera, au niveau de la mangrove de Morne Rouge © E. Lebreton
Récolte de feuilles à Vieux-Habitants
Elise traverse la Grande rivière de Vieux-habitants en portant un stock de lichens foliicoles sur la tête © N. Magain
Webinaire état des lieux des connaissances sur les lichens guadeloupéens © E. Lebreton
Dans le cadre d’un webinaire organisé par le Parc national de Guadeloupe, Elise a présenté un état des lieux des connaissances sur les lichens guadeloupéens © E. Lebreton

Pour visionner le Webinaire "La tête dans les lichens de Guadeloupe".