La surveillance de la qualité des cours d’eau est essentielle à la pérennité ou au rétablissement des usages (eau potable, pêche, baignade…) et de la biodiversité des organismes associés à ces milieux. Cette surveillance repose à l’échelle nationale sur plusieurs indicateurs, incluant des suivis physico-chimiques, hydromorphologiques et biologiques (communautés de poissons, d’invertébrés, de diatomées et de macrophytes). La décomposition de la matière organique est un processus naturel dans la plupart des cours d’eau à l’échelle mondiale. Découlant de l’activité biologique de micro-organismes (champignons, bactéries) et d’invertébrés (insectes, crustacés), ce processus est à la base de réseaux trophiques diversifiés.
Le territoire de Basse-Terre en Guadeloupe est réputé pour la densité de son réseau de rivières. Pour autant, certains aspects du fonctionnement et de la biodiversité de ces écosystèmes demeurent méconnus, et la pertinence de la décomposition des litières comme outil de bio-indication n’y est pas assurée. En mesurant la vitesse de décomposition de litières de bambou sur 12 sites répartis sur 3 rivière (La Grande rivière de Vieux-Habitants, la Petite rivière à Goyave et la Grande rivière à Goyave) entre avril et mai 2022, le projet DELICE vise à améliorer nos connaissances sur la biodiversité et le fonctionnement écologique des cours d’eau de Guadeloupe, mais aussi à valider l’utilisation de ce protocole comme outil de bio-indication sur le territoire.
Comment la litière se décompose-t-elle dans les cours d'eau ?
Le fonctionnement écologique et la biodiversité de nombreux cours d’eau repose sur la décomposition des feuilles mortes provenant de la végétation des rives. La décomposition de cette litière y est assurée par différents types d’organismes : des micro-organismes (bactéries, champignons) mais aussi des organismes de plus grande taille (larves d’insectes, crustacés). En opérant le recyclage des détritus, ces organismes contribuent de manière substantielle à la biodiversité et à la santé de l’écosystème.
La décomposition des litières étant liée à l’activité biologique des organismes décomposeurs, tous les dérèglements qui altèrent l’activité ou la biodiversité de ces derniers vont se répercuter sur la vitesse de décomposition. Elle peut être ralentie par des pollutions délétères pour les décomposeurs (ex : pesticides, métaux) ou à l’inverse accélérée par un excès d’éléments nutritifs (ex : engrais azotés, phosphates). Simple d’utilisation et transposable à de nombreux contextes, la mesure de la vitesse de décomposition des litières constitue un outil de bio-indication low-tech pertinent qui nous renseigne sur le bon fonctionnement de l’écosystème.
Une méthodologie qui porte ses fruits sur les cours d'eaux guadeloupéens...
Les résultats du projet DÉLICE confirment que le fonctionnement écologique des cours d’eau guadeloupéens repose en partie sur le processus de décomposition des litières. La décomposition microbienne y est substantielle et augmente de l’amont vers l’aval, stimulée par les apports en azote que les rivières reçoivent à mesure qu’elles traversent des terres agricoles et urbanisées. Cette décomposition microbienne fait intervenir un certain nombre d’espèces de champignons aquatiques, jamais étudié à ce jour en Guadeloupe, dont 45 ont pu être observées dans le cadre du projet. La décomposition totale est quant à elle très importante et pourrait être liée à l’abondance des macro-crustacés de grande taille (ex : Ouassous), bien que leur niveau d’implication reste à confirmer. Les résultats plaident largement en faveur de l’utilisation de cet outil en Guadeloupe. Des ajustements méthodologiques sont toutefois nécessaires pour améliorer la quantification de la contribution des crustacés à la décomposition.
Rapport : Labeille M, Jabiol J (2023) – Programme DELICE : Décomposition des litières en cours d'eau. Parc national de la Guadeloupe-PatriNat. 46 p + annexes